Un projet ambitieux lancé en 2020… et toujours bloqué en 2025
En 2020, le président de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, annonçait avec force l’ambition de créer à Limoges la cinquième école nationale vétérinaire française. L’objectif était clair : répondre à la pénurie croissante de vétérinaires, notamment dans les territoires ruraux, et installer une école en plein cœur d’une région d’élevage.
Cinq ans plus tard, le projet n’a pratiquement pas avancé. En octobre 2025, Alain Rousset exprimait publiquement sa frustration, déplorant l’absence de soutien du ministère de l’Agriculture et l’opposition d’une partie de la profession.
L’école de Limoges n’a pas été officiellement abandonnée, mais elle est surtout devenue invisible. Et les raisons de ce blocage sont nombreuses.
La position réservée du ministère et de la profession vétérinaire
L’un des principaux obstacles est la priorisation gouvernementale. La création d’une école vétérinaire publique est coûteuse, prend du temps, et implique une chaîne d’accréditation scientifique et académique particulièrement complexe.
Selon la profession, l’urgence ne serait pas tant la création d’un nouvel établissement que l’augmentation des promotions existantes. Les quatre ENV (Alfort, Toulouse, Lyon et Nantes) sont d’ailleurs passées de promotions de 120 étudiants à 180.
Du côté des structures professionnelles, l’enthousiasme n’est pas unanime. Les écoles actuelles, l’Ordre et plusieurs syndicats soulignent que multiplier les établissements ne garantit ni un meilleur maillage territorial, ni une réorientation vers la pratique rurale, véritable point de tension.
Une stratégie alternative déjà engagée : former plus de vétérinaires
Le ministère de l’Agriculture a fait un autre choix : doubler le nombre de vétérinaires formés en France.
Avec l’extension des promotions dans les ENV et l’ouverture en 2022 d’une école vétérinaire privée à Rouen, la capacité de formation nationale atteindra près de 1 000 diplômés par an d’ici 2028.
Cette feuille de route est censée répondre à la pénurie, mais rien n’indique qu’elle permettra de rééquilibrer la répartition territoriale. Le problème est moins le nombre total de vétérinaires que leur volonté de s’installer en zones rurales.
Un diplôme européen et une mobilité massive des étudiants français
La France forme trop peu de vétérinaires depuis plus de vingt ans, mais ce manque est en partie compensé par l’Europe.
Une proportion importante des nouveaux inscrits à l’Ordre a été formée à l’étranger : 46 % en 2021, 48,2 % en 2024.
Les formations universitaires belges, roumaines, espagnoles ou polonaises attirent les étudiants français, séduits par des concours moins sélectifs et un accès plus direct aux études vétérinaires.
Pour les défenseurs du projet limougeaud, une école locale pourrait réduire cet exode éducatif. Les opposants rappellent qu’aucune école ne peut obliger ses diplômés à rester travailler sur place, notamment dans les zones d’élevage.
Le véritable enjeu : l’attractivité rurale, pas le nombre d’écoles
Comme pour les médecins généralistes, la difficulté n’est pas de former des vétérinaires, mais de les inciter à s’installer dans les territoires ruraux.
Le témoignage de praticiens montre que la Creuse, la Corrèze ou certaines zones de Dordogne peinent à attirer des remplaçants, des salariés ou des associés.
La problématique est globale : éloignement des commodités, opportunités d’emploi limitées pour les conjoints, contraintes horaires importantes, astreintes lourdes, un environnement professionnel parfois peu attractif pour les jeunes vétérinaires.
À cela s’ajoute une réalité économique :
la médecine des animaux d’élevage est moins rémunératrice que celle des animaux de compagnie, dont le marché connaît une croissance exponentielle depuis vingt ans.
Résultat : les jeunes diplômés se tournent massivement vers les chiens et chats, laissant certaines zones rurales en véritable désert vétérinaire.
Le virage économique du secteur et l’évolution des pratiques
Entre 2000 et 2020, la part des actes liés à l’élevage dans la pratique vétérinaire a été divisée par deux, passant de 48 % à 24 %. Dans le même temps, le chiffre d’affaires global de la médecine vétérinaire a été multiplié par plus de 2,4, porté essentiellement par les animaux de compagnie.
Cette dynamique fragilise davantage le modèle économique des vétérinaires ruraux.
Créer une école à Limoges ne suffirait pas à inverser cette tendance sans mesures d’accompagnement profondes : aides à l’installation, revalorisation des actes, politiques d’attractivité territoriale, soutien au maillage sanitaire, simplification administrative.
Une équation politique délicate et des priorités nationales différentes
Le contexte politique actuel ralentit encore le projet. Le ministère doit arbitrer entre plusieurs enjeux : santé publique vétérinaire, souveraineté alimentaire, financement de l’enseignement supérieur, pression budgétaire.
Face à la pénurie, les décisions récentes ont privilégié la montée en capacité des écoles existantes plutôt que la création d’un cinquième établissement.
Enfin, si Limoges revendique un positionnement stratégique, d’autres régions se portent candidates, notamment le Grand Est, créant une concurrence territoriale supplémentaire.
En 2025, la création d’une cinquième école vétérinaire à Limoges n’est pas abandonnée, mais elle n’est clairement pas prioritaire pour l’État.
Entre les arbitrages budgétaires, la stratégie nationale axée sur l’augmentation des promotions, les débats internes à la profession et l’enjeu insoluble de l’attractivité rurale, le projet reste à l’arrêt.
Il ne pourra avancer que si la question centrale est traitée : non pas combien de vétérinaires la France forme, mais où et dans quelles conditions ils accepteront d’exercer.
Sans réponse à cette problématique de terrain, une nouvelle école, qu’elle soit publique ou privée, ne suffira pas à résoudre le maillage vétérinaire des territoires ruraux.













